Arrêt sur image.
Dans mon travail photographique , je m’intéresse aux distorsions du temps, à ces moments où la chronologie linéaire déraille. Quand maintenant ressemble à un hier lointain ou à une invention de demain.
Dans cette série sur la chasse à courre, composée de portraits à vif pris entre 2016 et 2018 , nous replongeons quelques siècles en arrière.
Une à deux fois par semaine , entre Septembre et Mars, des hommes et des femmes pratiquent une chasse selon des rites vieux de six cents ans.
Ancienne et pourtant contemporaine avec près de 400 équipages accompagnés par plus de 100 000 suiveurs en France, c’est une chasse sans armes à feu, où les cavaliers appuient les chiens, vrais acteurs de la chasse.
A une époque où la mort animale est devenue un tabou, la chasse sous toutes ses formes est décriée.
En une saison, un équipage de grande vénerie (cerf ou sanglier) prend moins d’une trentaine d’animaux. Une chasse sur deux, l’animal gagne.
Malgré une ponction près de cinquante fois inférieure à celle de la chasse à tir,
la chasse à courre déchaîne les controverses.
Car la chasse à courre renvoie une image élitiste, aristocratique anachronique qui focalise les éclairages médiatiques.
En France, la chasse était l'un des privilèges de la Noblesse qui fut aboli en 1789.
Aujourd’hui, c’est une activité gérée par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage et les préfectures selon les principes du développement durable.
Les équipages sont des associations à but non lucratif et les 100 000 suiveurs suivent les chasses à vélo, pied ou voiture.
Mais cette évolution reste invisible, masquée par l’aspect tres ritualisé de la chasse à courre.
Tout un système de signes ancre la chasse à courre dans une representation d’un temps passé.
Des codes visuels pour les tenues d’equipage, des codes de sociabilité marqués par une grande courtoisie, un déroulé de chasse codifié du rapport de chasse qui la débute à la curée qui la conclut, un langage particulier utilisant des termes ancestraux incompréhensibles au profane.
Durant deux saisons,entre 2016 et 2018, j’ai suivi un équipage de grande vénerie qui chasse le cerf.
Suivre une chasse, c’est se retrouver dans les gravures de chasse du XIXème siècle qui nous ont rendu familier le spectacle des équipages, des meutes, des cavaliers.
La vue et l’ouïe affûtées par l’attente, l’ immersion dans la nature renforcent cette impression d’être hors du temps présent. Un arrêt sur image.
©2022 Pascale Bazire